- De l’origine des usages
Si le design a pu progressivement évoluer pour s’inscrire dans un nombre croissant de domaines de nos vies, notamment depuis son apparition au milieu du XIXè siècle, c’est parce qu’il joue (entre autres) avec les normes sociales et culturelles qui animent, régissent et rythment nos sociétés. En d’autres termes, il serait illusoire de penser le design comme un procédé purement esthétique, artistique, industriel ou commercial, si l’on ne prenait pas attention à analyser ce qui se cache derrière nos comportement – et pourquoi nous sommes plus sensibles à certaines formes, certaines couleurs ou certains usages que d’autres.
Comme on peut le voir ici, les spécificités culturelles jouent un rôle capital dans la conception d’une idée, sa réalisation et son succès. Cela vaut bien évidemment pour tous les domaines du design, des politiques publiques à la nourriture, en passant par le luxe ou encore le son. Cette particularité montre à quel point il est capital de se poser la question des usages lorsque l’on se met à travailler sur le design : les êtres humains sont d’abord des animaux sociaux et culturels, et nous pensons avant tout avec ces références – y compris pour les choix les plus anodins de notre vie quotidienne.
En d’autres termes, les usages auxquels le design va tenter de répondre, ainsi que les besoins ou les manques qu’il identifie, s’enracinent d’abord dans des normes sociales ; partagées par un nombre important d’individus, elles peuvent varier en fonction des groupes sociaux. Une démarche de design ne saurait ignorer cette particularité, sous peine de rater complètement sa cible et échouer lamentablement.
2. L’identité – ou l’attachement à certaines normes
Si ces normes sociales sont si fortes, c’est parce que nous y sommes attachés, collectivement. En d’autres termes, certaines normes font partie de notre histoire, de notre patrimoine et de notre vie quotidienne, et sont si fortes et puissantes dans leur poids concernant l’organisation de la vie sociale que nous les considérons comme “naturelles” et “allant de soi”, alors qu’elles ne sont que “culturelles” et “construites temporairement”. En d’autres termes, les normes évoluent, sont contredites, remises en perspective, réévaluées, revues et contestées. A partir du moment où le design s’appuie sur ces normes pour produire des solutions, alors il y a fort à parier que ces évolutions seront toujours en constante évolution – ne serait-ce que pour des raisons esthétiques, qui montrent à quel point les modes et les tendances ne sont que des normes qui sont constamment (re)négociées.
https://www.arte.tv/fr/videos/087453-000-A/design-quand-les-objets-deviennent-politiques/
Si le design s’appuie sur les normes, cela veut dire qu’il contribue à les perpétuer. En effet, si l’un des objectifs du design est de produire des solutions en lien avec des usages majoritaires existants, même si ces usages reproduisent des schémas de domination ou sont néfastes pour les individus par exemple, alors cela veut dire que le design dispose d’un rôle politique qui peut lui permettre 1) de perpétuer un système, 2) de discuter ou disputer ce système ou 3) de proposer des systèmes alternatifs. En d’autres termes, le design n’est pas une simple opération innocente : il permet d’agir très concrètement dans le monde social, et donc de maintenir, contester ou réorganiser les sphères d’influence et de pouvoir.
3. Le design : un processus politique au service de la démocratie ?
De plus en plus, en plus de concevoir et de faire, les designers réfléchissent à leur pratique et à leur rôle au sein de la société. Bien évidemment, cette particularité n’est pas nouvelle, puisque depuis ses origines, le design est une activité qui fait tout en réfléchissant et conceptualisant : il n’y a donc jamais d’activité de design qui ne soit pas en lien avec des réflexions profondes sur les mutations de la société, sur l’état politique de nos pays ou sur la manière dont les normes créent des pressions de pouvoir.
Dans ce sens, quel peut être le rôle du design à l’avenir, dans des sociétés en mouvance perpétuelle, qui interrogent notre rapport au progrès, au numérique, à la technologie, aux mutations sociales et aux évolutions économiques ? Si le design est partout, si son rôle peut permettre de changer les choses, comment faire pour faire du design un processus responsable, qui puisse permettre d’envisager l’avenir de manière plus serein – ou moins malheureuse ?
Le design dispose donc d’une responsabilité immense dans les séquences économiques, sociales et politiques qui vont suivre dans nos sociétés. Quelque part, la situation de nos démocraties et de nos économies en cette première moitié du XXIè siècle replace le design là d’où il est parti au mlieu du XIXè siècle : partir d’une critique de la société de consommation, de son modèle économique d’exploitation et de sa frénésie industrielle pour proposer des solutions qui pourront changer le monde face à ses nombreux défis – notamment écologique et numérique, pour n’en citer que deux.
Idée d’activité : réfléchissez à un objet dont le design a eu des implications sociales, politiques, culturelles ou écologiques particulières. Explorez-en l’histoire, connectez-la avec des enjeux actuels et montrer la manière dont le design peut, à travers cet objet, proposer une vision conservatrice d’un ordre social – ou au contraire la contester.